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L’histoire Et La Vérité Derrière l’Abolition De l’Esclavage A Maurice

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En ce mardi 1er février 2022, nous commémorons le 187e anniversaire de l’Abolition de l’Esclavage à Maurice.  En cette occasion, l’équipe de Le Matinal Media a eu le privilège d’avoir une interview exclusive avec le Dr. Vijaya Teelock, qui est une historienne et experte de l’histoire de l’Esclavage à Maurice.

Questions:

L’Abolition de l’Esclavage à Maurice est commémorée le 1er février. Que s’est-il réellement passé à Maurice le 1er février 1835 ?

L’Abolition de l’Esclavage a commencé par une loi du parlement adoptée par le gouvernement britannique en 1833, qui devait être mise en œuvre le 1er février 1835. Malgré l’adoption de la législation sur l’Abolition de l’Esclavage, les propriétaires des esclaves à Maurice et dans les autres colonies britanniques ont demandé aux esclaves de continuer à rester sur leurs propriétés. Ainsi, le 1er février n’a pas vraiment fait de différence pour les esclaves car ils ont été forcés de rester avec leurs propriétaires.

Le gouvernement britannique et les propriétaires des esclaves sont parvenus à un accord concernant un nouveau système de travail appelé l’apprentissage, qui a duré pendant quatre ans (jusqu’en 1839) jusqu’à ce que la société anti-esclavagiste intervienne et fasse une campagne disant que l’apprentissage est une autre forme d’esclavage et qu’il doit être aboli.

Donc, en conclusion, le 1er février n’a rien changé pour les esclaves car ils étaient toujours obligés de rester avec leurs propriétaires et de faire face aux mêmes conditions qu’auparavant.

Alors pourquoi célébrer l’Abolition de l’Esclavage le 1er février puisque rien n’avait changé pour les esclaves ?

Cette date est importante car elle a marqué l’abolition légale de l’esclavage. Légalement parlant, les propriétaires des esclaves n’avaient pas le droit de punir les esclaves comme ils le faisaient auparavant. En théorie, ils ne pouvaient pas les poursuivre et les punir comme ils l’ont fait avec ‘l’Esclave Marron’, mais ils l’ont quand même fait. L’Abolition légale de l’Esclavage a donc été une étape très importante qui s’est produite après une très longue campagne menée par la société anti-esclavagiste et les amis des Noirs en France. L’étape juridique a donc été la toute première et la plus importante étape pour l’abolition de l’esclavage qui est venue des années après.

On parle beaucoup d’indemnisation par l’administration britannique qui craignait des troubles violents à Maurice.  Comment la compensation a été faite et qui ont été les bénéficiaires?

La compensation a été discutée entre le gouvernement britannique et les propriétaires des esclaves qui se trouvaient à Maurice et dans les autres colonies de l’Empire Britannique. Nous pouvons dire que c’était un compromis car les propriétaires ne voulaient pas libérer leurs esclaves. Le gouvernement a donc proposé une compensation financière aux propriétaires à partir de laquelle ils ont créé un comité de rémunération qui a estimé la valeur de chaque esclave que les propriétaires possédaient.

Ainsi, nous avons un registre, qui existe encore à Maurice aujourd’hui, où tous les esclaves et leur valeur estimée sont listés. Le gouvernement britannique a donné 40% de la valeur estimée de chaque esclave aux propriétaires. Ce n’est qu’après cette indemnisation que les propriétaires ont accepté l’Abolition de l’Esclavage. Cette compensation a aidé les propriétaires à investir dans leurs propriétés de canne à sucre en termes d’équipement et bien d’autres.

A l’époque de l’Abolition de l’Esclavage, l’Ile de France comptait combien d’esclaves et quels étaient leurs domaines ?

À cette époque, 66000 esclaves ont été libérés grâce à l’Abolition de l’Esclavage. Ce nombre comprenait les esclaves aux Seychelles et à Rodrigues, qui faisaient partie de l’île Maurice. L’indemnisation accordée pour l’abolition de l’esclavage était estimée à 1,2 million de livres sterling à cette époque. Aujourd’hui, cette estimation vaut plusieurs milliards de roupies mauriciennes et nous ne devons pas oublier que cela ne représente que 40% de la valeur des esclaves.

En ce qui concerne les différents domaines des esclaves, nous devons faire la différence entre la période Française et la période Anglaise. Au cours de la période Française, c’est-à-dire entre 1721 et 1810, il y avait une variation en termes de main-d’œuvre. Comme il s’agissait d’une nouvelle colonie, il était important de construire des nouvelles infrastructures comme le port, les routes, les bâtiments publics pour le gouvernement, la cour de justice, l’hôpital militaire. Il était donc nécessaire d’initier les esclaves à différents emplois comme maçon, forgeron et voilier pour les bateaux pour un bon développement de l’île.

Pendant la période Anglaise, la main-d’œuvre était principalement concentrée dans les champs de canne à sucre, les plantations et la culture. Ainsi, tous les esclaves, qui avaient travaillé dans les différents domaines, ont été forcés d’apprendre et de travailler dans les plantations.

La terre volée aux esclaves, est-ce un fait ou une supposition ? Quelle était l’importance de la Commission Justice et Vérité (CJV) sur cette question ?

Beaucoup d’esclaves ont reçu des créneaux de terres dans le passé. Ceux, qui travaillaient pour le gouvernement Français ou de l’Angleterre, étaient surtout concernés. Par exemple, les esclaves, qui travaillaient au château de Reduit pour le Gouverneur, avaient obtenu des créneaux de terres entourant Reduit alors que ceux, qui travaillaient pour les détachements des « marrons » et qui travaillaient dans le jardin botanique de Pamplemousses, avaient reçu des créneaux de terres entourant la localité où ils travaillaient. Nous avons même toute une partie de la population d’esclaves qui ont acheté leur liberté en économisant de l’argent. Et quand ils payaient pour leur liberté, leurs propriétaires avaient l’obligation de leur donner un morceau de terre. Entre 1839 et 1846, il y a eu beaucoup d’esclaves qui ont acheté des petits morceaux de terre avec l’argent qu’ils avaient économiser. Mais avec le temps, la petite parcelle de terre que possédaient les esclaves n’a pas permis à des nombreuses familles de survivre. Beaucoup d’entre eux ont immigré à Port-Louis et dans d’autres villes. Une fois qu’ils ont commencé à perdre le contact avec leur terre, d’autres personnes ont pris possession de la parcelle de terre tandis que d’autres ont choisi de vendre leurs terres pour survivre.

C’est là que la Commission Justice et Vérité a été créée. Lorsque la Commission a commencé ses travaux, elle a demandé à ceux qui croyaient avoir perdu un terrain à partir de ce moment-là de se manifester et de déposer à la Commission.

La Commission a obtenu plus de 300 cas qui comprenaient des familles franco-mauriciennes et indo-mauriciennes ainsi que des descendants d’esclaves. Ils avaient parlé des morceaux de terre qu’ils avaient perdu dans le passé. La Commission a fait beaucoup d’enquêtes sur ces cas et elle a dû demander l’avis de différents experts, avocats, historiens pour faire un rapport sur la question.

Ils étaient d’accord sur le fait que ces gens avaient perdu leurs terres, mais il était très difficile de retrouver la même parcelle de terre. Beaucoup de recherches ont dû être faites pour parcourir les archives, chercher le lien entre les familles et les esclaves et chercher les différents contrats. Ainsi, la Commission a demandé la création d’une unité de recherche qui aiderait les différentes familles à mettre en place leur dossier afin qu’elles puissent établir leur liens avec la parcelle de terre. Même si le terrain appartenait à quelqu’un d’autre qui l’avait obtenu légalement, la Commission avait le pouvoir d’indemniser les familles avec un autre terrain. C’est là qu’est venue une autre recommandation de la Commission; qui est la création d’une banque foncière. La Banque Foncière consisterait à collecter des emplacements de terres obtenus par le gouvernement qui auraient été donnés en compensation aux familles. Mais rien n’avait été fait à ce sujet.

Comment le pays s’est-il développé après l’Abolition de l’Esclavage ? On dit que la fin de l’Esclavage a cédé la place au travail sous contrat. Le développement de Maurice n’aurait pas pu avoir lieu sans l’esclavage et même, le travail sous contrat.

Après l’Abolition de l’Esclavage, les esclaves ont été rendus libres qu’en 1839 et ont quitté leurs propriétaires et leurs plantations pour immigrer à travers de l’île Maurice. C’est à cette époque que les travailleurs sous contrat sont arrivés à Maurice en provenance d’Inde et de Chine. C’est avec l’arrivée des coolies qu’ils ont pu étendre la culture de la canne à sucre sur les terres centrales et à travers le pays se développant lentement.

Une partie de la population prétend être des descendants d’esclaves et pourtant, il y a eu beaucoup d’interactions / mariages mixtes / métissages au cours des années… Pensez-vous que le spectre de l’esclavage est toujours présent ou est-ce une page de notre histoire que nous devons oublier ?

Il est vrai qu’il y a eu beaucoup de métissage au fil des années. Mais il y a encore des familles qui peuvent retracer leur histoire familiale et leur généalogie jusqu’à l’esclave qui a été amené à Maurice à cette époque. Au moment de l’indemnisation donnée par le gouvernement britannique, les propriétaires avaient l’obligation d’enregistrer les noms et prénoms des esclaves dans un registre qui existe encore aujourd’hui. Beaucoup de ces familles ont gardé le nom pendant des générations, même si ces noms ont été donnés au hasard. C’est à travers dle noms de la famille que la Commission a pu les relier aux esclaves.

Les suites de l’esclavage ont laissé un effet psychologique sérieux, qui a été imprimé dans l’ADN de la personne. Dans une certaine étude intitulé « The Trauma Studies », menée aux États-Unis, a prouvé que le trouble psychologique, qui a été fait aux esclaves à cette époque, s’est poursuivi tout au long des années et est restée avec les descendants (par exemple, le racisme, la stigmatisation,…). Ainsi, l’Esclavage n’a pas vraiment disparu avec les préjugés contre les descendants des esclaves, déguisés; la stratégie de main-d’œuvre bon marché s’est poursuivie depuis l’esclavage.

Parlez-nous du Musée Intercontinental de l’Esclavage.

Le Musée Intercontinental de l’Esclavage est un projet recommandé par la Commission Justice et Vérité. Cette recommandation a été faite car, malgré la présence de nombreux musées à Maurice; aucun d’entre eux ne retrace l’histoire de l’Esclavage, qui est le fondement de l’économie et de la société mauricienne, qui a commencé au 18ème siècle et au début du 19ème siècle.

Compte tenu de son importance dans l’histoire de Maurice, la Commission a recommandé que le musée soit situé à Port-Louis, la capitale de Maurice et qu’il soit très visible et accessible à tous les Mauriciens. La Commission a également demandé à ce que le musée soit situé à proximité des commodités locales, des moyens de transport, des restaurants, etc. et s’il était possible, de trouver un endroit qui a un rapport avec les esclaves. Tout au long des différentes recherches menées, il a été constaté que l’hôpital militaire était situé à côté de deux débarquements d’esclaves. L’hôpital lui-même a un lien avec les esclaves. En effet, des nombreux esclaves, qui ont été blessés pendant les guerres, avaient été soignés dans cet hôpital. Il a été constaté que le rez-de-chaussée de l’hôpital était pour les esclaves et l’étage supérieur était pour leurs propriétaires. Ainsi, il a été estimé être le meilleur endroit pour le musée, qui est situé à côté de l’Apravasi Ghat, représentant les travailleurs sous contrat.

C’est en 2016 que le gouvernement avait donné son accord concernant le Musée, après quoi le projet a été lancé. Aujourd’hui, nous avons la société d’État (ISM Mauritius Ltd), qui est en charge du projet et a la responsabilité de mettre le Musée en place. Jusqu’à présent, deux façades du bâtiment ont été restaurées et il reste encore beaucoup à faire.

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1 COMMENT

  1. Let us celebrate a peaceful and blessed Black History Month to remember how our people fought hard for the freedom we are enjoying today.

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